Papa, est ce que les noirs sont inférieurs aux blancs ?
Bien sûr que non, mais pourquoi me poses tu cette question ?
Pourtant tous les pays où ils sont les plus nombreux sont aussi les plus miséreux !
Vois tu mon fils, je pourrais t’énumérer les causes de ce déséquilibre, t’expliquer qu’avoir de la chance n’est pas une raison pour se sentir supérieur ou méprisant, que profiter d’un avantage pour maintenir l’autre dans la misère l’est encore moins mais je préfère te raconter une histoire.
Il était une fois dans un pays lointain, un roi qui accueillait tous les éclopés de la vie…
Aveugles, boiteux, monstres apparents y accoururent en masse, à tel point que les voisins de ce pays appelèrent celui-ci Eclopville en ricanant…car ailleurs régnait la loi de la rentabilité, toute personne non immédiatement et visiblement rentable était poussée à l’être ou mise à la porte de la cité…porte qui restait impitoyablement fermée.
Ce pays partageait moins de biens mais les partageait plus que les autres, personne n’y avait de voiture de luxe ou de manteau de fourrure en vison mais personne n’y mourrait de faim ou de misère…le travail n’y était pas obligatoire pour vivre mais était encouragé et l’on voyait souvent des aveugles donner des cours d’équilibre ou d’écoute des sons à des « valides » ou à des enfants…cela faisait ricaner ceux qui, assis sur les sièges luxueux de leurs limousines, serinaient à leurs enfants d’être les meilleurs…notion sur laquelle d’ailleurs ils ne s’étendaient pas outre mesure…meilleurs en quoi ?
Un jour, le soleil refusa de se lever…le monde fut plongé dans l’obscurité et le chaos s’installa…
Du jour au lendemain, ce qui était une tare devint un atout ; plus qu’un atout même, une qualité essentielle pour survivre…partout, l’on recherchait des aveugles pour donner des cours d’orientation à prix d’or et les hommes singes, lesquels avaient la particularité de produire abondamment des monceaux de poils sur tout leurs corps à la vitesse de 2 cm/jour, étaient recherchés pour lutter contre le froid qui s’installait ; des mannequins descendaient de leurs podiums de suffisances et se prostituaient pour se nicher quelques instants dans ces poils hier encore honnis.
Pourtant, à Eclopville, point de chaos. La société se réorganisa en souplesse et peu de « monstres » manquèrent à l’appel.
Lorsque le soleil revint, la première chose que firent les Eclopvilliens fut de sourire de joie…y compris les aveugles…